Les textes qu’on va lire émargent du séminaire d’études avancées que j’ai animé à l’Université du Québec à Montréal entre septembre et décembre 2003. Il s'inspire, d'une part, de mon travail de recherche et de création sur les biographies d'aventuriers du XVIII^e siècle (notamment ma biographie de Pierre de Sales Laterrière) et, d'autre part, de mes travaux sur l'imaginaire et l'archive littéraire, menés les projets ARCHè-ALAQ et IRMA.

L’idée de départ consistait à se demander ce que la biographie devait à l’imaginaire de l’archive. En quoi, dans la biographie, les catégories narratives du vraisemblable et "l'effet de réel" reposent-elles sur un "effet d'archive"? Quel rapport l'imaginaire entretient-il avec le document ancien et, dans le récit historique, quelles contraintes impose l'archive à l'invention? Mais aussi, comment l'écrivain en dispose-t-il? La perspective sera tout à la fois théorique et pratique, puisqu'on examinera les stratégies d'écriture à l'œuvre dans les récits de vie et les "romans d'archives" (Debray-Genette et Neefs). Quels rapports l'imaginaire entretient-il avec le document ancien et quelles contraintes impose l'archive à l'invention (cas de Claude Simon)? Mais aussi, comment l'écrivain en dispose-t-il pour inventer sa propre "configuration d’archives"? Composer le récit de vie c'est disposer les pièces archivistiques dans un certain ordre en vue d'un projet narratif et rhétorique. Composer: c'est aussi négocier avec l'archive, comme on compose avec ses créanciers (reconnaissance d'une dette). Antagoniste, l'archive le devient alors et devient même protagoniste dans le récit. Véritable personnage du roman, elle réapparaît régulièrement comme adjuvant ou opposant à la quête du "héros". Mais qu'entend-on par "invention", ou par "création" dans la biographie? Comment éviter complètement la dérive fictionnelle? Si la narration d'une vie exige une certaine forme de rigueur et de fidélité par rapport au personnage et aux événements qu'il a réellement vécus, ce "réel" n'est jamais un donné empirique. Encore moins un tout cohérent, homogène, prévisible. Le foisonnement d'une existence, les avatars d'un sujet, la question même du "moi", autant d'aléas qui forcent le biographe à construire son objet. Non pas de toutes pièces, mais avec les archives éparses dont il dispose (d'autres biographies, des mémoires). Il doit aussi composer avec celles qu'il doit encore trouver (correspondances, archives privées et publiques, etc.). Et cette construction de l'objet, pour n'être pas encore de la création, est déjà de l'invention, au sens rhétorique du mot.

Après avoir reçu un certain nombre de chercheurs confrontés à ces problèmes dans leur propre travail d’écriture (1), les membres du séminaire ont, tour à tour, exposé leurs réflexions sur le sujet et risqué même, parfois, des exercices d’écriture mettant en scène (ou en pratique) les questions soulevées par le sujet. C’est la trace de ces interrogations qu’on trouve ici recueillie, à l’initiative de Sérgio Barbosa de Cerqueda qui visita notre atelier et se proposa d’en donner l’écho dans l’archive virtuelle du Web.

Ce recueil comporte donc des textes sur les pratiques du biographique avec des réflexions des étudiants de la Maîtrise en Études Littéraires de l'UQAM qui ont participé au Séminaire "Biographie et imaginaire de l'archive":

- Catherine Dalpé. "Archives imaginaires dans L’Apprentissage du roman de Benjamin Jordane".

- Chloé Engel Spandonide. "W ou le souvenir d’enfance, de Georges Perec: L’autobiographie qui déconstruit pour exister".

- David Faust. "Archive, biographie et autobiographie oblique dans Vies minuscules de Pierre Michon".